mercredi 10 avril 2024

La doublure

 Le sujet de la semaine : 

écrire un texte inspiré de cette photo tirée du début du film Sunset Boulevard / Boulevard du crépuscule de Billy Wilder et dans laquelle on trouve un cadavre dans une piscine. On se demande ce qui s'est passé, et c'est le noyé qui raconte son histoire dans un flash-back qui dure tout le reste du film. A vous d’imaginer qui est cet homme et comment il en est arrivé là. Vous pourrez traiter cette histoire en roman policier, roman noir, humour noir, fantastique, SF, ou tout autre registre. Récit à la première ou à la troisième personne.



 Cliff était un peu mal à l’aise sur le plateau du studio où était enregistrée l’émission dont il était l’invité. Ed Sullivan arriva enfin et, après lui avoir serré la main, s’installa dans le fauteuil face à lui.

- Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer. On est prêts ? Trois, deux, un, partez.

Le silence se fit sur le plateau.

- Bonsoir à tous, c’est Ed Sullivan sur CBS. Je reçois aujourd’hui Cliff Booth pour la sortie de son livre « Gloria, le crépuscule d’une star ». Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a poussé à écrire ce livre polémique ?

- Ça fait dix ans que je fais ce métier et c’est la première fois que je suis aussi mal traité par une actrice en vue.

- Vous voulez parler de Miss Swanson et de son rôle dans Boulevard du crépuscule sorti l’an dernier. Alors que s’est-il vraiment passé lors du tournage ?

Cliff retint son souffle. Après quelques secondes de silence, comme pour bien ménager son effet, il se tourna vers la caméra.

- Tout a commencé par la première scène du film. J’étais la doublure officielle de William Holden. Billy Wilder a tourné une première version qui se déroule dans une morgue. Il fait parler en voix off Gillis joué par Holden qui raconte ce qu’il lui est arrivé. On sait dès le début du film que Gillis est mort. On aperçoit le corps recouvert d’un drap blanc. Madame Swanson a refusé qu’on utilise un mannequin et exigé la doublure. Je suis resté allongé sous ce drap pendant toutes les prises, 38 au total. Lors des rushes, madame Swanson a trouvé que cette idée était finalement malsaine et a obtenu de monsieur B. de Mille qu’il trouve avec Wilder une autre idée.

- Et cette idée, c’était la piscine.

- Exactement. Dans cette deuxième version, Gillis est retrouvé mort dans la piscine de Norma Desmond jouée par Gloria Swanson. Les policiers découvrent son cadavre pendant que la voix off de Gillis raconte son histoire et commence à remonter dans le passé.

- Cette scène a dû être éprouvante pour vous…

- Sacrément ! Il a fallu plusieurs heures de maquillage pour que la ressemblance avec Holden soit parfaite. On a utilisé une technique innovante afin que le grimage résiste à l’eau. Madame Swanson assistait au tournage et elle a demandé à maintes reprises de recommencer les prises de vue, prétextant que je bougeais les bras, que je battais des pieds, elle a refusé que je porte une combinaison isotherme parce que le costume ne flottait pas assez, tout était prétexte à commentaires.

- Combien y’a t’il eu de prises ?

- 72 !

- Incroyable ! Mais le réalisateur dans tout ça ?

- Je pense que madame Swanson lui faisait peur. Elle avait menacé à plusieurs reprises de quitter le film. Je raconte dans mon livre les exigences qu’elle a eues, ses caprices de star notamment dans les scènes avec Holden, pour la lumière, les costumes, elle a rendu complètement dingue toute l’équipe de tournage. Il ne faut pas oublier que beaucoup d’actrices avait refusé le rôle et que la production ne pouvait pas se permettre un énième abandon.

- Quels étaient vos rapports avec l’actrice ?

- Exécrable ! Elle se moquait de moi à chaque prise de la piscine, elle m’a fait interdire de cantine. Jamais je ne lui pardonnerai.


Quelques semaines après cet interview et la publication du livre, eut lieu la 23ème cérémonie des Oscars. Contrairement aux pronostics, Gloria Swanson, pourtant nommée, n’obtint pas la statuette convoitée. D’aucuns dirent que le scandale provoqué par le livre de Booth jeta un discrédit qui fut fatal à l’actrice.






 

mardi 2 avril 2024

Odyssée 2075

 Le sujet de la semaine : 

Dans un futur plus ou moins lointain la technique de la téléportation est enfin au point. Tous les moyens de transport deviennent obsolètes, ce qui met fin aux soucis d’empreinte carbone. Toutefois pour ne pas trop brusquer les citoyens, le gouvernement (national ou mondial) autorise chacun à faire un ultime voyage (aller-retour) par le moyen de transport traditionnel de son choix et pour la destination qu’il souhaite. Vous (ou votre personnage ) optez pour l’avion. Racontez ce voyage qui sera le dernier, hors téléportation, de votre existence, ainsi que les sentiments et émotions qu’il occasionne. Votre texte pourra être écrit à la première ou à la troisième personne.



 Un dernier « vrai » voyage aérien avant la suppression définitive de tous les modes de transport connus. Voilà ce qu’avait offert le Consulat à tous les français.

Immédiatement, j’avais décidé que ce serait Santorin. Les vieux albums de famille transmis de génération en génération montraient des photos extraordinaires de maisons blanches accrochées à des falaises vertigineuses. Sur ces photos, mes grands-parents et arrière grands-parents en short et maillots de bain. Tenues interdites par le Consulat depuis près de dix ans.

La seule contrainte était de faire ce voyage avant le 1er mars. Plus tard, ce serait impossible, les températures dépasseraient alors les 50 degrés. Depuis longtemps, les grecs avaient fui leur pays, migrant vers l’Europe du Nord.

L’avion fut affrété le 20 février, départ de l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry qui était entièrement démantelé. Seul le terminal 2 était accessible, perdu au milieu d’un amas de béton. Nous étions une centaine ce jour là à avoir choisi la Grèce. Quand je vis l’avion, j’eus des sueurs froides : un vieil Airbus repeint grossièrement en bleu et à l’intérieur, des sièges défoncés en cuir sale.

Plusieurs stops étaient prévus. Sifnos, Sérifos, Milos et enfin Santorin.

A bord, je fis la connaissance d’un jeune mec qui avait choisi Milos.

- je veux absolument revoir la plage de Sarakiniko, c’est fantastique, on se croirait sur la Lune, me dit-il. J’y suis allé avec ma mère quand j’étais gamin, juste avant l’évacuation générale de 2048. Je me demande comment c’est maintenant.

Ces paroles me laissaient songeur. J’étais partagé entre l’excitation de découvrir enfin une région qui me faisait rêver et la crainte d’être déçu, en raison des évènements et de l’effondrement climatique qui sévissaient.

Les gens discutaient, faisaient des « live » pour leur chaîne privée.

Une fille, au crâne rasé et affublée d’un treillis militaire, se leva d’un bond.

- Font chier tous ces blaireaux, je rentre chez moi !

Elle sortit un petit boîtier de sa poche, actionna un bouton rouge et prononça « home ». Elle se désintégra après m’avoir gratifié d’un clin d’œil. La téléportation est autorisée depuis six mois et je n’arrivais toujours pas à m’y habituer.

L’avion survolait Athènes à basse altitude, nous vîmes les restes de la ville totalement dévastée par le tsunami de septembre 2069. La capitale grecque était maintenant sous les eaux, seul le Parthénon dressait encore ses colonnes, comme un défi au temps. Dans le rang opposé, collé au hublot, je vis un homme sangloter.

Quand l’avion aborda l’aéroport de Fira, mon cœur se mit à battre plus fort. Nous étions plus que dix à bord. Un high plane-board nous attendait pour nous conduire à Oia afin de profiter du coucher du soleil. C’est alors qu’on nous apprit par message sur nos montres connectées que nous n’avions que quatre heures devant nous avant de reprendre l’avion. Tout le monde se regarda avec stupeur ; rien à voir avec le séjour promis par le Consulat. Une vieille femme cria à l’arnaque. Un homme hurla « à bas la dictature ! ». Un garde approcha avec un taser à la main. Soudain, les autres occupants se jetèrent sur le militaire, des cris retentirent. Je vis alors une femme en uniforme actionner un levier et un éclair jaillit dans l’appareil.

Je perdis connaissance quelques secondes avant de me retrouver allongé dans mon lit, chez moi sur les hauteurs d’Évian.

Fin du voyage.

Je ne sus jamais ce qui était arrivé aux autres passagers.





samedi 9 mars 2024

Morbleu !

 Le sujet de la semaine : 

écrire un texte dans lequel devra être insérée où il vous conviendra, mais obligatoirement dans les 1000 premiers SEC, la phrase suivante :


Ce fut à cette période que je pris conscience d’un fait curieux.


Cette phrase ne devra pas être modifiée ni intégrée à une autre.


---oOo---





C’était l’été. J’avais décidé de changer un peu mes habitudes du matin pour rejoindre mon travail. Faire un petit détour et traverser le parc du Thabor déjà ouvert à cette heure matinale allait me permettre un grand bol d’air frais avant de m’enfermer dans mon bureau en haut de la tour.

Ce fut à cette période que je pris conscience d’un fait curieux. C’était le deuxième matin que j’arpentais le parc. Comme je passai devant un parterre de fleurs, je m’aperçus que les massifs étaient bleus. Je m’approchai pour vérifier qu’il s’agissait bien des roses que j’avais vues la veille. Mais oui ! Et ce matin, elles étaient bleues ! D’un bleu profond.

Je n’y prêtai pas plus d’attention, pensant à une facétie de garnements. J’arrivai bientôt au travail et aussitôt mon regard se figea : la moquette de mon bureau était bleue, alors qu’elle devait être d’un blanc immaculé. D’un bond, je fonçai au secrétariat.

- Qui s’est permis de changer ma moquette ?

Je vis la stupeur sur les visages des assistantes.

- Mais personne, monsieur Morvan, me répondit Rozenn, la doyenne de mes collaboratrices.

- Vous vous foutez de moi ! Suivez-moi !

Alors que nous entrions dans mon bureau, je vis le visage de Rozenn se décomposer.

- Vous voyez bien qu’elle est blanche votre moquette !

Je m’affalai dans mon fauteuil, rageant contre la terre entière, quand je m’aperçus que ma lampe de bureau, mon sous-main et les stores étaient aussi devenus bleus.

Je fus pris de panique, me levai et me mis à la fenêtre pour m’apercevoir que toutes les voitures sur le parking étaient bleues.

Je sentis la sueur rouler sur mon front. Que m’arrivait-il ? Serait-il possible que je perde la tête ? Serait-ce un complot pour déstabiliser ma société ? Mon cœur battait à tout rompre. Une seule solution me vint à l’esprit : contacter Briac, mon ami médecin. Après un rapide coup de fil, il accepta de me voir à 10 heures. Sur le chemin, je constatai que les platanes étaient devenus bleu azur, j’en eus la nausée.

J’arrivai enfin au cabinet médical.

- Que t’arrive t-il mon vieux ?

En deux mots, je lui expliquai la situation. Briac fronça les sourcils.

- Dis-moi, si je me souviens bien, tu as eu le Covid récemment ?

- Oui, au mois de janvier.

- Nom de dieu de nom de dieu, ne me dis pas que c’est ça !

Mon ami fit un bon vers sa bibliothèque et ouvrit un ouvrage bleu.

- Quoi, quoi, criai-je.

Briac feuilleta le recueil en ouvrant de gros yeux, poussa des grognements et bientôt tomba à genoux sur le parquet.

- Merci, merci… il est pour moi, le bleu est pour moi, c’est … génial, terrible, formidable.

- Mais quoi ?

- Tu es atteint du syndrome de Michou. C’est un effet secondaire du Covid Il fait partie de tout un tas de dysfonctionnements de la vue découverts par le Professeur Gruaut, ils sont appelés syndromes des couleurs. Un rouge a été observé en Chine en 2022, mais tu es le premier bleu au monde

- Mais tu es certain, balbutiai-je, un peu affolé devant ses gesticulations. Et qu’est ce que je vais devenir ?

- Ne t’inquiète pas, ça va disparaître dans quelques semaines, comme c’est venu en fait. En attendant, évite d’aller à la mer, de sortir quand il fait beau et d’aller à la piscine. Rentre chez toi et ne bouge pas. Je passe te voir dans la journée. En attendant, il faut que j’aille à la faculté.

Penaud, je me dirigeai vers les ascenseurs. C’est alors que j’entendis Briac me crier depuis son bureau :

- Et puis, si tu pouvais oublier de porter cette veste rose fuchsia, ça te va pas du tout.


lundi 29 janvier 2024

Les matriochkas

Le sujet de la semaine :écrire un texte intégrant, dans l’ordre qui vous plaira, les trois titres suivants tirés de la filmographie de Catherine Deneuve.

Ça n'arrive qu'aux autres
Au plus près du paradis
Drôle d'endroit pour une rencontre.

---oOo---




 - Alors mademoiselle Lioubov ou Polinskaïa ou encore Petrova, on a le choix. Je vous écoute.

La femme s’éclaircit la gorge.

- Je suis inscrite sur un site de rencontres, sous le pseudo de Tristana. J’ai tout de suite repéré William : bel homme, se disant aisé. Je l’ai contacté rapidement. Nous avons échangé pendant quelques jours, je n’en disais pas trop sur moi voulant paraître un peu mystérieuse, c’était mon plan. Il m’a demandé si j’étais d’accord pour qu’on se voit. Je lui ai donné rendez-vous un après-midi à la cathédrale orthodoxe, quai Branly.

- C’est un drôle d’endroit pour une rencontre !

- Pas vraiment. Pour lui, je serai cette jeune émigrée russe, très pieuse, seule dans la vie, cherchant une relation stable et protectrice. Ce n’est pas la première fois que j’utilise ce stratagème. Cela marche toujours. Il m’a vite confié qu’il était joaillier place Vendôme, qu’il avait des clients du monde entier. Évidemment, ça m’a donné des idées.

- Si j’en crois vos antécédents et vos fausses identités, vous avez mené la vie de château pendant plusieurs années...

- Si c’était à refaire, je recommencerais. J’ai rendu ces hommes très heureux et le fait de les avoir escroqués ne change rien aux bons moments passés avec moi.

L’homme regarde en connaisseur la femme qu’il a devant lui. C’est vrai qu’elle est belle, la garce, avec sa cascade de cheveux blonds, ses yeux d’un gris profond et cette silhouette à se damner. Pas étonnant que tous ces mecs se soient fait embobiner. A croire que ça n’arrive qu’aux autres de rencontrer une pareille beauté.

- Continuez.

- Je savais où se trouvait la bijouterie. J’avais suivi William un matin et l’avait vu entrer au n°12. Un soir, il m’a dit qu’il avait des problèmes de personnel. Une seule vendeuse serait présente cette semaine. Je me suis dit que c’était ma chance. Dans la vitrine, j’avais aperçu des bracelets absolument fabuleux.

- Vous êtes entrée dans la boutique, on vous a présenté une dizaine de bracelets.

- Oui. La vendeuse avait l’air bizarre, mais bon. J’étais obnubilée par les diamants. Quand elle s’est retournée pour répondre au téléphone, j’en ai profité pour glisser deux bracelets dans un de mes gants.

- Valeur totale, huit cent mille euros !

La jeune femme ne peut réprimer un petit sourire.

- Une fois les bijoux revendus , j’avais de quoi continuer à m’amuser et de me sentir au plus près du paradis.

Ma fille, c’est l’enfer qui t’attend, pensa l’homme.

- Et pourtant, il y a eu un petit contretemps.

- Hum, je savais que le magasin était sous surveillance vidéo, j’avais mis une perruque brune, lunettes et chapeau. Quand je suis sortie précipitamment, sous prétexte que j’avais oublié de payer mon taxi, je ne m’attendais pas à me retrouver encerclée. Je ne comprends pas.

Ménageant son effet, l’homme se lève et ouvre une porte.

- Tout ce que vous venez de me raconter, je le sais depuis longtemps. Ma chère, je vous présente le capitaine Franck Rivière, mon adjoint.

- Espèce de salaud !

Elle vient de reconnaître son joaillier.

- Cela fait deux ans qu’on est après vous, qu’on vous traque sans pouvoir vous coincer. Et puis, le capitaine a eu cette idée géniale du site de rencontres. Essayer de vous appâter était risqué. Il nous fallait un flagrant délit. Pendant trois jours, mon équipe est restée planquée dans l’espoir de vous voir arriver. La vendeuse de la joaillerie est la lieutenante Ferreira. C’est elle qui a eu l’idée de l’absence de personnel.

- Bien joué, commissaire. Mais il y a une chose que vous ignorez et qui va compliquer votre enquête.

- Ah oui ? Et laquelle ?

Tristana sort un passeport de son sac.

- En vérité, je suis Natasha Mitridova, la fille de l’ambassadeur de Russie.  


dimanche 31 décembre 2023

Les adieux manqués

 Thème de la semaine : le personnage vit une situation pour la dernière fois

---O---



Quand la maladie de mon père a été diagnostiquée, j’ai tout de suite réalisé qu’il fallait se préparer au pire, dans un délai plus ou moins long, en fonction du courage et de la volonté que mon géniteur aurait à se battre.

Du courage, il en a eu pendant quelques temps mais la volonté s’est vite délitée et les derniers mois n’ont été que longue agonie, entre les séjours à l’hôpital, les retours à la maison et à nouveau l’hôpital. Fils unique, j’avais demandé au personnel infirmier que je voulais être prévenu en priorité en cas de problème important et ce, afin de préserver ma mère. Je vis mon père une dernière fois le jour de son anniversaire, il était inconscient et le bouquet de roses que j’ai déposé sur sa table de chevet n’a pas suffi à lui faire ouvrir les yeux. Le lendemain à 4 heures du matin, le téléphone sonnait pour me prévenir qu’il fallait que je vienne rapidement. Sans passer par le domicile de mes parents, je fonçai vers l’hôpital où j’arrivai trop tard. Il s’est éteint doucement, me dit une aide-soignante que je reconnus pour l’avoir reçue en entretien alors qu’elle cherchait un poste.

Je me sentis perdu au milieu de ce long couloir désert qui desservait des chambres où des patients entre la vie et la mort dormaient encore. J’en voulais au personnel médical de ne pas avoir su abréger ses souffrances alors que tout le monde le savait perdu. J’en voulais surtout à moi-même de ne pas avoir été à ses côtés pour un dernier regard. Je remontais onze ans en arrière, quasiment jour pour jour, où j’étais arrivé également trop tard pour serrer dans mes bras une dernière fois l’être aimé qui venait de mourir d’un accident de la route.

La vie passe et se charge d’enfouir en nous des souvenirs douloureux sans qu’on puisse les oublier totalement.

Quand dix ans après le décès de mon père, une neurologue me révèle la pathologie dont est atteinte ma mère, une nouvelle fois je comprends que les semaines, les mois à venir vont être difficiles. Aussi bien pour elle qui, au fil des saisons, perd la mémoire, la réalité puis le langage, la motricité. Douloureux aussi pour les proches qui vont devoir prendre des décisions qu’ils se sont toujours refusés à envisager. Les repas à domicile, les aides ménagères, les infirmiers puis inévitablement l’établissement spécialisé quand la maladie a rendu le quotidien dangereux. Des moments où on redoute les sonneries de téléphone, téléphone qu’on n’éteint plus. Et puis ces sorties d’autoroute qu’on rate parce qu’on a l’esprit ailleurs, et puis ces rendez-vous ratés parce qu’on a oublié de les noter, et puis ces sautes d’humeur que personne ne comprend parce que personne ne sait ou évite d’en parler. Le temps passe, les jours se suivent entre le travail et les fins de journée passées au chevet d’une femme qui ne me reconnaît plus, que je ne reconnais plus. Quelques moments de lucidité où les pleurs surgissent mais ce ne sont que quelques secondes avant que le néant reprenne le dessus.

Et puis, ce dimanche après-midi de fin août, il est 15 heures, je suis dans le jardin, le téléphone qui vibre : « venez vite, votre maman est en train de partir ». La traversée de la ville à toute allure, les feux rouges grillés, le cœur qui bat à tout va. Et puis la malédiction qui continue : j’arrive trop tard, une fois de plus.

Un torrent de larmes retenues depuis près de vingt cinq ans me submerge sans que je puisse m’arrêter. Je pleure les absents, je pleure les dernière fois que j’ai ratées, ces rendez-vous ultimes qui m’ont échappé malgré moi.

La vie nous prend toujours au dépourvu et nous laisse avec nos propres regrets. Faire le deuil m’est impossible, c’est une vue de l’esprit, il faut tenir parce qu’on n’a pas le choix. Pour soi, pour les autres. Le refrain d’une chanson résume bien ce pan de mon histoire personnelle : on n’oublie rien de rien, on n’oublie rien du tout, on n’oublie de rien de rien, on s’habitue, c’est tout.



mercredi 6 décembre 2023

Les Noëls de Théodule Garrot

 Le sujet de la semaine : un assassinat dans le milieu de la restauration

---o---


24 décembre 1957 - Vevey – Grand hôtel du lac


Le maître d’hôtel vint servir le cognac aux deux convives. D’un geste, Théodule Garrot fit signe qu’il n’en voulait pas.

- J’évite les alcools forts, à mon âge, ce n’est pas recommandé. Mon cher Perkins, ce dîner était un véritable délice, encore merci pour cette invitation.

- Avec grand plaisir, mon cher Garrot, Ce n’est pas tous les ans qu’on a l’honneur de passer le réveillon de Noël avec un illustre détective.

Garrot ne put réprimer un léger rougissement de satisfaction. Il effleura sa barbe habillement taillée et ferma les yeux.

- Cette soirée me rappelle un autre Noël il y a bien des années. A cette époque, ma réputation a bien failli être réduite à néant.

- Vraiment ? Racontez-moi cela.


24 décembre 1937 - Juan les Pins – Hôtel Le Provençal


J’avais décidé de passer les fêtes sur la Riviera française. Un ami m’avait indiqué ce somptueux établissement qui proposait des services haut de gamme et une table à faire pâlir d’envie les plus fins gastronomes. J’avais aussi besoin de me reposer après l’affaire du tueur des musées qui avait fait la une de la presse européenne pendant plusieurs mois.

Le soir du 24 décembre, je dînais en compagnie de la romancière Alice Brune, une vieille connaissance qui, comme moi, séjournait dans le mythique palace.

Nous venions d’entamer des Saint-Jacques contisées au butternut et à la truffe, un bonheur, quand un cri strident provint des cuisines. La salle se figea, les regards tournés vers l’office. Le sommelier apparut et balbutia : « toutes nos excuses, mesdames, messieurs, juste un incident sans gravité ».

Chacun remit le nez dans son assiette, mais je constatai rapidement que le personnel était très agité. Bientôt, le directeur de l’hôtel s’approcha de notre table et me pria de le suivre.

- Monsieur Garrot, je suis confus de vous déranger mais vous seul pouvez nous aider.

L’homme était pâle comme un linceul et semblait au bord du malaise.

- Que se passe t-il, mon ami ? demandai-je

- Voyez vous-même, me dit-il en me montrant l’entrée de la cave à vins.

Un homme était étendu parterre. Son état ne faisait aucun doute. Il était mort, la tête fracassée par une feuille de boucher qui était restée plantée juste au dessus de son oreille.

- Que personne n’entre ici, dis-je au directeur. En attendant l’arrivée de la police, personne ne doit sortir de votre établissement, les clients y compris.

En tant que ressortissant suisse, je n’avais aucune autorité pour mener l’enquête, mais je voulais aider. La victime était le chef étoilé du restaurant. Il avait été trouvé par son premier commis inquiet de ne pas le voir arriver alors que c’était le « coup de feu ». Les policiers français interrogèrent les membres du personnel, les clients ayant été mis rapidement hors de cause. Tous indiquèrent que personne n’avait quitté son poste de travail, chacun trouvant un alibi à son plus proche collègue. Le même scénario se répéta avec le personnel de direction, les grooms et le personnel de service. J’avais l’impression de revivre l’enquête d’un détective belge, une sombre histoire de meurtre commis dans un train. Les investigations durèrent jusqu’au début de l’année. La presse s’était emparée de l’affaire. Apprenant que je me trouvais sur les lieux, elle avait titré : « La police patine, Garrot décline !» Finalement, le ou les coupables ne furent jamais arrêtés. .


24 décembre 1957 - Vevey – Grand hôtel du lac


- eh bien, mon cher, quelle histoire ! Je comprends maintenant pourquoi vous avez fui aux États-Unis où l’affaire Perlman vous a valu cette renommée outre-atlantique.

Perkins venait à peine de terminer sa phrase qu’un homme en smoking tapa sur l’épaule du détective.

- Monsieur Garrot, venez vite, il est arrivé quelque chose de grave !

Les deux amis se levèrent de concert et suivirent le majordome. Au pied d’un escalier qui menait au sous-sol des cuisines, ils aperçurent un homme gisant dans une mare de sang, une hache plantée au sommet du crâne.




mardi 31 octobre 2023

La punition

Sujet de la semaine :

Écrire un texte dans lequel vous raconterez une histoire ou une anecdote que vous avez vécue ou dont vous avez été témoin et qui vous a beaucoup fait rire ou amusé(e ). Bien entendu votre texte peut être entièrement sorti de votre imagination.

---o---



J’aime beaucoup le samedi. Pourquoi ? Parce que je le consacre pour partie à flâner dans le vieux quartier dédié aux antiquaires et brocanteurs. Mon endroit favori est la maison Géraud, libraire depuis plusieurs générations. La boutique est tenue par Clotilde Géraud, fille unique de feu Léonard Géraud et de feue Jeanne née de la Tourette.

Clotilde règne sur son immense bouquinerie en maîtresse femme accordant ou pas selon l’humeur un signe de tête à ses potentiels clients. Robe noire, quatre rangs de perles, chignon impeccable, bijoutée et maquillée souvent de façon outrancière. Elle aurait pu, en d’autres temps et d’autres lieux, passer pour la tenancière d’un bobinard de la rue Godot de Mauroy.

Elle est assistée par Gauthier, jeune éphèbe qui s’occupe des livres d’occasion, romans, récits, le tout-venant comme le souligne avec dédain la libraire. Celle-ci veille sur les ouvrages de collection, « ses incunables », dit-elle.

Ce samedi-là, je déambulais au hasard des travées sans but précis. Je saluai un autre habitué du samedi qui s’approchait du comptoir en tenant à bout de bras un grand sac en cuir fauve. Il en sortit un livre. Pour m’y connaître un peu, je constatai qu’il s’agissait d’une pleine reliure en maroquin bordeaux. L’homme tendit l’ouvrage à la libraire et j’entendis qu’il s’agissait d’une œuvre complète comportant 12 volumes numérotés. Il souhaitait les vendre.

Clotilde Géraud regarda le client comme s’il s’agissait d’un insecte nuisible mais daigna saisir le livre du bout des doigts. Après l’avoir feuilleté négligemment, elle le referma en faisant claquer la couverture.

- Qu’est-ce que vous voulez que je fasse de ça ? déclara la douairière. Franchement, qui s’intéresse encore à Mauriac, hein ? Parlez-moi de Hugo, Rousseau, Diderot, alors là, je dis oui, oui ! Mais ça…. Je ne sais pas, essayez les maisons de retraite, la cure thermale, ça peut intéresser.

Et sans autre forme de procès, l’odieuse tourna le dos et planta son interlocuteur qui, penaud, pris la fuite.

Il ne s’était pas passé un quart d’heure quand l’homme franchit à nouveau la porte du magasin et se dirigea directement vers le rayon des ouvrages les plus anciens. La libraire, occupée à vanter la qualité d’une édition originale de Jane Austen à un couple de touristes britanniques, ne vit pas notre quidam sortir de sa poche une fiole. Intrigué, je me glissai à proximité du rayon au moment où l’homme renversa le contenu du flacon, de l’encre il me sembla, sur les pages d’un ouvrage en cuir brun. Puis il le remit rapidement derrière d’autres livres, le cachant ainsi des regards. Ceci fait, il sortit rapidement de la librairie.

Interloqué, j’étais confronté à une envie de pouffer de rire mais aussi choqué par ce carnage.

Le samedi suivant, selon mes habitudes, je me trouvais à nouveau chez Géraud. La porte s’ouvrit laissant passer l’homme éconduit. Il se dirigea à nouveau vers le rayon des livres anciens et à mon étonnement, sortit de sa cachette l’ouvrage abîmé.

- Madame Géraud, j’aurais bien acheté cette édition rarissime de Lord Byron, très onéreuse ma foi si j’en crois l’étiquette, mais voyez comme elle est… comment dire... tâchée ! Comment cet.. incunable détérioré a pu échapper à votre vigilance ?

La mégère toucha ses perles, devint écarlate et hurla :

- GAUTHIER ! GAUTHIER !

Deux semaines plus tard, la librairie était équipée de caméras de surveillance obligeant la pauvre femme à rester figée devant ses écrans. Je ne revis plus jamais le vandale.


vendredi 6 octobre 2023

Sic transit gloria mundi

 Le sujet :

L'Humanité va disparaître pour une raison que vous évoquerez ou non. Par un prodigieux hasard, vous (ou votre personnage) êtes le dernier humain qui puisse laisser un message sur les millénaires de civilisations et d'histoire bientôt anéantis : ce message sera tout ce qui demeurera à jamais de l'aventure humaine.



 - Ici Houston, m’entendez-vous Artémis ?

- Ici Artémis, je vous entends fort et clair. A vous !

- Je confirme nos précédents messages. Le virus a fini par toucher la base confinée dans les sous-sols de Cap Canaveral. Je suis la seule survivante de l’équipe qui contrôle votre mission. D’après mes calculs, je serai paralysée dans 1 h et 30 mn, mes fonctions digestives et respiratoires sont déjà touchées, sans que je puisse y remédier. Vous êtes actuellement sans possibilité de retour.

La voix dans l’écouteur semble hésiter. L’astronaute perçoit un sanglot étouffé.

- Je vais mourir et vous serez le dernier survivant pour quelques heures.

- Il n’y a vraiment plus personne ?

- Non...Adieu John, je suis désolée.

Il entend une détonation. La communication est coupée.

De rage, John envoie son casque se fracasser sur le mur d’écrans qui tapisse la cabine. Il sait maintenant ce qu’il doit faire. Il connaît la procédure. Le commandant saisit un support magnétique contenant un message enregistré plusieurs semaines avant son départ. Il ne peut s’empêcher de l’écouter une dernière fois.


« Moi, John Donovan Bradley, commandant la navette spatiale Artémis, en orbite autour de la Terre, depuis le 14 mars 2026, déclare être le seul survivant de la pandémie dénommée Trétravid-24 qui a exterminé les habitants de cette planète. Ce message a pour but de laisser une trace de l’existence de l’humanité terrestre à la seule fin qu’il puisse servir à comprendre ce qui s’est passé ici depuis que l’homme existe. Des documents écrits en langue anglaise, française et mandalorienne ainsi que des films vidéos et fichiers audios au format nxv sont joints au présent message. Ceux-ci retracent de façon exhaustive ce qu’a été l’Histoire de notre planète, avant qu’elle ne sombre dans le néant. Quiconque trouvera ces documents saura s’il est encore possible de sauver ce qu’il reste de la Terre et d’y vivre à nouveau».


Le message s’arrête là mais John va enfreindre le règlement. Il remet le support dans le lecteur et appuie sur la touche «REC ».


« Message enregistré le 11 septembre 2026. Les derniers documents comportent des falsifications que je veux corriger, au nom de la vérité. Le 5 novembre 2024, Kamala Harris est élue présidente des États-Unis, suite au décès de Joe Biden en septembre. La présidente est assassinée lors de son investiture le 18 janvier 2025, sur l’ordre de l’ancien candidat Donald Trump. Celui-ci s’autoproclame président, ferme aussitôt les frontières du pays, déclare l’état d’urgence. Tous les pays réagissent violemment. Le 3 mars 2025, Vladimir Poutine, président des Républiques Soviétiques prépositionne des sous-marins nucléaires au large des côtes californiennes. Le 4 juin 2025, la Corée de Nord diffuse sur la Corée du Sud le virus du Trétravid-24 avec les conséquences fatales pour l’humanité, ce virus mortel est transmis d’est en ouest par les insectes et les oiseaux sur toute la planète. Aucun vaccin n’est trouvé. ».


John appuie sur la touche STOP. Il est épuisé. Comme le prévoit la procédure, l’astronaute insère le support magnétique dans une capsule blindée. Il déclenche une balise de détresse qui, munie d’une pile au klactium, doit pouvoir émettre pendant 4 000 ans. Puis il avale une pilule de cyanure.


Au même moment, sur l’île d’Okinawa, au large du Japon, un data center se réinitialise. Un ordinateur muni d’une intelligence artificielle capte un signal et commence à écrire des lignes de programmation.



samedi 23 septembre 2023

Josette et les Spoutniks




Thème de la semaine : 

La famille XX (nom de votre choix) vient de rentrer de vacances. Surpris ne pas les voir sortir tandis que les volets restent fermés, les voisins finissent par alerter la police (ou la gendarmerie). L'inspecteur XX (nom de votre choix) va être amené à enquêter.

Vous pouvez opter pour le thriller, la comédie, la SF ou tout autre registre.


---O---


- Mon capitaine, mon capitaine, y’a la mère Joubart à l’accueil qui veut vous voir !

Le chef de la brigade ne put réfréner une grimace.

- Oh non, ma journée est foutue !

Madame Joubart, épicière à temps partiel et commère à temps complet, aimait particulièrement rendre visite à la gendarmerie pour signaler des agissements divers et variés, occasionnés la plupart du temps par ses proches voisins ou « des gens louches ».

Ce matin, elle était particulièrement agitée.

- Alors madame Joubart, quoi de neuf, aujourd’hui ? soupira le capitaine Kellec.

- Eh bien, voilà. Vous savez madame Lefort qui habite en face chez moi ? Figurez-vous qu’elle et son mari sont partis en vacances en Turquie, à ce qu’il paraît. Non mais vraiment ! On se demande ce qu’ils sont allés faire là-bas, hein ? Pas de danger qu’on aille chez ces métèques et..

- Au fait, madame Joubart, au fait.

- Oui, bon. Alors donc, ils sont rentrés, ça fera demain dix jours. Eh bien, figurez-vous qu’ils ne sont pas sortis de chez eux depuis.

- Et alors ?

- Comment ça, et alors ? Vous ne trouvez pas ça bizarre, vous ?

- Vous êtes certaine de ce que vous dites ?

- Ça oui ! L’après-midi, je suis chez moi, alors je vois tout ce qui se passe en face, et le matin quand je suis à l’épicerie, mon mari est là. Rapport à sa maladie, il ne quitte pas son fauteuil et il m’a bien dit qu’il ne les avait pas vus. Et la voiture n’est plus là. Je savais bien qu’ils étaient pas nets ceux-là !

- Je vais voir ça, rentrez chez vous. Si j’ai besoin, je sais où vous trouver.

Une fois la commerçante partie, Kellec s’adressa à son adjoint.

- Oh purée, on s’en tire bien cette fois. Elle n’est restée qu’un quart d’heure. On va quand même aller voir sur place, on ne sait jamais.

La rue des bouvreuils où habitaient les protagonistes était située à cinq minutes en voiture. Les gendarmes s’engagèrent dans l’allée qui menait à la maison des Lefort et après avoir sonné deux fois, ils attendirent un moment. Silence. Encore un coup de sonnette, toujours rien. Le capitaine décida de faire le tour de la maison et profitant d’un volet mal fermé à l’arrière de la bâtisse, il regarda à travers la vitre de la fenêtre. Il constata que la pièce était entièrement vide.

- Maurois, appelle un serrurier, il faut qu’on rentre là-dedans.

Vingt minutes plus tard, les gendarmes entraient dans la maison...Entièrement vide. Seuls quelques cartons jonchaient le hall d’entrée ainsi qu’un balai usagé.

Soudain, il entendirent frapper à la porte d’entrée.

- Bonjour capitaine, je suis monsieur Joubart. Ma femme est à l’épicerie en ce moment. Je vais faire vite. Les Lefort, ils ont déménagé ça fait une semaine. Bien obligés avec tout ce que ma femme leur a fait subir depuis trois ans qu’ils sont là. Pas partis en vacances, ça non. Ils sont allés récupérer les clefs de leur nouvelle maison dans un coin paumé et aussi préparer leur arrivée. Ils m’ont demandé de ne rien dire et j’ai fait jurer aux autres voisins qui ont assisté à leur départ de tenir leur langue. Les Lefort savaient que Josette travaillait le matin, c’est pour ça qu’elle n’a rien vu. Voilà, je me sauve. Ne dites rien à ma femme, sinon ça va aller mal pour moi.

Le capitaine totalement estomaqué commençait déjà à ruminer sa petite vengeance.

Il attendit le lendemain après-midi pour décrocher son téléphone.

- Madame Joubart, vous avez bien fait de nous prévenir. La direction de Paris nous a informés que vos voisins font partie du gang terroriste russe appelé les Spoutniks…. Ils ont dû s’enfuir par l’arrière du jardin, sans que vous les voyiez. Maintenant, cette information que je vous donne doit rester secrète. Il y va de la sécurité nationale. Je compte sur vous.

Sur ce, le capitaine raccrocha avant d’éclater de rire.

A l’autre bout du fil, l’épicière restée bouche bée s’écria :

- J’en étais sure !

Avachi dans un fauteuil, son mari fit sembler de dormir.

Sans bruit, elle enfila un gilet et se précipita chez sa voisine.

- Madame Simon, vous ne devinerez jamais...

vendredi 1 septembre 2023

91 raisons d'aimer

Troisième et dernier sujet du cahier d'été : Ecrire un texte qui commencera obligatoirement par l'incipit suivant qui devra rester tel quel, sans aucune modification :


Maintenant encore, je crois parfois l’apercevoir dans la rue, ou debout devant une fenêtre, ou penché (e) sur un livre dans un café.

J'ai choisi de composer un texte incluant 91 titres de chansons de Jean-Louis Murat, une façon de rendre hommage à celui qui m'a accompagné pendant de longues années et que je continue à écouter chaque jour.




---O---


Maintenant encore, je crois parfois l’apercevoir dans la rue, ou debout devant une fenêtre, ou penchée sur un livre dans un café.
Je me souviens que c’est ici, Gare de Lyon, que je la vis. Elle portait un foulard rouge et ressemblait à un ange déchu sorti d’un paradis perduDieu n’a pas trouvé mieux que de provoquer en moi comme un incendie. Moi, le môme éterneltomber sous le charme d’une petite fée était aussi improbable que de rencontrer une mésange bleue la nuit sur l’Himalaya. Si je m’attendais à rencontrer l’amour au premier regard !
Face à ce sentiment nouveau et plutôt que de rendre l’âme, je m’approchai de la belle.
Elle dit s’appeler Polly JeanElle était venue de Californie pour traverser la France sous la pluie d’automne.
Il est 16h00, qu’est-ce que tu fais ? demanda t’elle.
Ce que tu désires, m’entendis-je répondre.
Alors, il faut s’en aller.
Je me disais que l’amour et les États-Unis pouvaient faire bon ménage, aussi nous prîmes le train bleu.
Elle m’appelait, tantôt Jim, tantôt Billy. Et moi, noyé dans mes amours débutants, je voulais vivre pleinement l’éphémère sans penser à la fin du parcours.
Un long périple nous mena bien loin d’ici. A Belgrade, d’abord, où elle voulut voir son Oncle Vania, personnage bizarre qui lisait les Pensées de Pascal sous un chêne rougeDans la crainte des gelées blanches, il devait réparer la maison avant qu’il neige.
tu n’auras pas le temps, dit Polly.
Pour plaire à ma belle, je décidai de l’aider. Chacun sa façon de travailler. Moi, je n’étais pas doué.
Comme je demandai conseil, Vania me dit :
- Interroge la jument !
Nous partîmes un matin, sous les grêlons, au chant du coucou. Ma Vénus voulait rejoindre Taormina. Elle avait rendez-vous avec un matelot franco-kurde qui vivait au fin fond d’une contrée, sorte de vallée des merveilles.
Au dedans de moi, je commençais à avoir le cafard. Courir le monde tels des voyageurs perdus ressemblait à un parcours de la peineQui est cette fille ? Est-ce bien l’amour ? me demandais-je en regardant la lady voleter entre gel et rosée, comme un oiseau de paradis pris dans un arc-en ciel. Mais amour n’est pas querelle et quand venait le soir, entre deux draps j’oubliais tout pour des passions privées.
Nous quittâmes la Sicile pour l’Italie. A la morte fontaine de Trévi, nous fîmes un vœu : je fis celui de te garder près de moi. Toi, peut-être de faire de moi le garçon qui maudit les filles.
Le charme fut brisé d’un coup. Dans le dédale des rues et par mégarde, je te perdis dans la foule romaineL’inquiétude me prit quand je sentis le lien défait.
Le surlendemain, j’aperçus ma Polly au bras d’un champion espagnol et je me dis que l’infidèle s’était bien joué de moi. Bye bye, sans même un baiser.
En l’absence de vraie vie, je décidai de revenir chez moi. Il me fallut gagner l’aéroport alors qu’en moi, c’était la débâcleArrête d’y penser, me disais-je. Mais rien n’y fit. Je retrouvais ma montagne avec la mine d’un troubadour chantant un madrigal triste.
Depuis, je la vois partout. Je traîne et je m’ennuieJe voudrais me perdre de vue et oublier cette légende dorée.
Je l’aperçois dans la rue Saint-Amant, ou debout devant une fenêtre de l’hôtel Perce-Neige, ou à la terrasse du café Lilith.
Je suis non loin du col de la Croix-Morandentre Tuilière et Sanadoire, on m’appelle Long John et je n’ai pas oublié.
Tout est dit.